Introduction
Le temps de l’action publique est souvent au cœur de débats vifs. D’un côté, la lenteur administrative est dénoncée comme synonyme d’inefficacité bureaucratique, alimentant l’image d’un service public pesant et dépassé. En France comme ailleurs, le terme de bureaucratie évoque spontanément la lourdeur, la lenteur et l’inefficacité, voire l’absurdité des procédures. Cette vision négative fait écho à une société moderne où l’accélération est la norme : on ne supporte plus d’attendre, pas même « une minute que s’ouvre une page web : quelle horreur ! ». D’un autre côté pourtant, émerge un discours prônant des temporalités alternatives. Des mouvements comme le slow management ou le slow living valorisent la “droit à la lenteur” – le droit de prendre son temps, de privilégier la qualité sur la vitesse. En milieu professionnel, on rappelle que pour être efficaces, nous avons besoin de calme, de continuité et de lenteur et qu’il faut savoir s’autoriser le droit à la lenteur. Ainsi, entre l’injonction à accélérer et l’aspiration à ralentir, le temps de l’action publique se retrouve tiraillé. Ce constat prend une coloration particulière à La Réunion, territoire insulaire français confronté à la tension entre exigences nationales d’efficacité et réalités locales des rythmes de vie. L’enjeu est d’examiner si la lenteur observée dans l’administration réunionnaise n’est qu’un frein bureaucratique à éliminer, ou bien l’expression de temporalités locales qu’il conviendrait de reconnaître et d’intégrer.
Approche théorique : sociologie du temps, insularité et management public
La question du temps dans l’action publique peut s’éclairer par plusieurs cadres théoriques. Sociologiquement, le temps est une construction sociale autant qu’une donnée technique. Norbert Elias le rappelait : « la notion de temps désigne symboliquement la relation qu’un groupe humain établit entre deux ou plusieurs processus, dont l’un est normalisé pour servir de cadre de référence ». Autrement dit, chaque société définit ses repères temporels et ses rythmes normatifs : ce qui est considéré comme “lent” ou “rapide” dépend du cadre collectif de référence. Cette perspective incite à ne pas absolutiser les critères de rapidité, mais à comprendre les temporalités dans leur contexte socio-culturel. Une même durée d’attente ou d’exécution pourra être jugée insupportable dans un environnement, et acceptable – voire nécessaire – dans un autre.
Les travaux du sociologue Hartmut Rosa sur la modernité tardive mettent en lumière la dynamique d’accélération sociale et ses effets. Rosa décrit la modernité comme une « dialectique entre des forces d’accélération et des institutions vouées à dépérir dès lors qu’elles deviennent un frein aux forces d’accélération ». L’histoire moderne aurait ainsi vu triompher une accélération généralisée (innovations techniques, changements sociaux et rythme de vie) qui tend à s’auto-alimenter. Dans ce contexte, la lenteur devient scandaleuse : « nous ne supportons plus la lenteur, quel que soit le domaine concerné » note Rosa. Les administrations publiques, par leur fonctionnement procédural et délibératif, apparaissent alors comme des contretemps dans une société du tout-urgent. Rosa souligne même que la démocratie elle-même, par définition prise dans le temps long, se trouve en porte-à-faux face à l’immédiateté exigée : les mécanismes de décision collective, l’élaboration de normes et le dialogue citoyen prennent inévitablement du temps, ce qui rend difficile une adaptation à la frénésie contemporaine. Ce décalage structurel alimente l’idée que l’appareil public serait “à la traîne” par rapport aux autres sphères (économie, technologie).
Pour autant, la lenteur administrative n’est pas qu’une tare à éliminer – elle peut aussi refléter une autre rationalité du temps. La science administrative classique (de Weber à Taylor) a longtemps exalté la standardisation et la rapidité au nom de l’efficacité. Mais des penseurs contemporains comme Hartmut Rosa ou le philosophe François Hartog (avec son concept de « régime présentiste ») nous invitent à interroger cette obsession du tout, tout de suite. La quête incessante de la vitesse produit des « désynchronisations » et des pathologies sociales (stress, perte de sens). Dans le champ du management public, Francis Massé – ancien haut fonctionnaire – souligne ainsi que répondre à l’urgence exige paradoxalement « un art consommé de la lenteur » : il faut prendre le temps de comprendre, de faire adhérer et de fiabiliser l’action publique plutôt que de céder à la précipitation. Selon lui, la confiance des citoyens se construit dans la durée, et vouloir « refaire le monde dans la précipitation » mène à l’échec. Cette idée rejoint une intuition répandue chez les praticiens : une politique publique solide nécessite souvent un temps long (concertation, expérimentation, ajustements successifs) incompatible avec le culte du résultat instantané.
Une autre grille d’analyse pertinente est l’anthropologie de l’insularité. Les sociétés insulaires présentent fréquemment des rapports au temps singuliers, façonnés par l’isolement géographique, la taille réduite du territoire, le climat et les traditions locales. Longtemps, les îles ont été considérées comme de simples périphéries devant s’aligner sur les modèles temporels des métropoles. Aujourd’hui, les études insulaires reconnaissent au contraire l’existence de temporalités spécifiques aux îles, qu’il convient d’analyser pour elles-mêmes. Loin des clichés d’îles “hors du temps”, ces temporalités locales résultent d’un enchevêtrement de dynamiques internes (réseaux sociaux de proximité, saisonnalités climatiques, événements culturels propres) et de logiques exogènes imposées de l’extérieur. L’anthropologue Geneviève Bernard, travaillant sur les îles des Caraïbes, parle par exemple de la « temporalité créole » marquée par une plus grande flexibilité des horaires et une priorité donnée aux relations humaines sur la stricte ponctualité. De même, l’articulation du temps familial et communautaire avec le temps économique global crée des résistances salutaires : « la temporalité locale et familiale forme une résistance au régime présentiste contemporain », note une étude sur les frictions temporelles. Appliqué à la fonction publique, cela suggère que certaines lenteurs apparentes sont en réalité l’expression de choix sociaux visant à préserver la cohésion et l’humanité des interactions.
Enfin, le débat s’inscrit dans l’évolution du management public. Les dernières décennies ont vu l’importation du Nouveau Management Public (NMP), prônant dans l’administration les méthodes du privé : culture du résultat chiffré, objectifs à court terme, indicateurs de performance immédiate. Cette course à la productivité a eu pour corollaire une exaltation de la réactivité et de la vitesse de traitement des dossiers. Or, de nombreux auteurs alertent sur les limites de ce modèle appliqué sans discernement. Le secteur public répond à des finalités d’intérêt général, souvent inscrites dans le temps long (cohésion sociale, aménagement sur plusieurs décennies, pérennité des infrastructures). Traditionnellement, « les services de santé, transports, poste, éducation sont censés opérer dans la durée, sinon la permanence, pour répondre à des besoins sociaux eux-mêmes inscrits dans le temps long ». Vouloir les soumettre brutalement à la logique du court terme financier crée un malaise temporel. C’est « l’impératif de vitesse » imposé par l’économie de marché qui bouscule la gouvernance publique contemporaine. On voit ainsi se confronter « deux logiques temporelles » : celle des marchés, focalisée sur l’immédiat (rentabilité instantanée, résultats trimestriels), et celle de l’État, ancrée dans la permanence et la patience. Cette confrontation explique en partie la tension autour de la lenteur administrative : est-elle une archaïsme à abolir au nom de l’efficience, ou le dernier rempart contre la dictature de l’urgence ?
Contexte réunionnais : rythmes sociaux, rapport à l’urgence et temps politique local
Sur l’île de La Réunion, la question du temps dans l’action publique prend une dimension particulière, au croisement de la culture locale et des contraintes d’un département français ultramarin. La Réunion possède une identité créole forte, fruit d’un métissage de populations européennes, indiennes, africaines, malgaches, chinoises… Cette diversité s’est traduite par une culture du “prendre son temps” dans bien des aspects de la vie quotidienne. L’expression locale « tan lontan » (le temps d’autrefois) désigne de manière nostalgique une époque révolue où régnaient douceur de vivre et patience. Dans le sud de l’île, on évoque volontiers le rythme “slow” caractéristique du Sud sauvage qui « envahit peu à peu » le visiteur et contraste avec l’agitation des vagues océanes. Autrement dit, une part de la société réunionnaise valorise un tempo modéré, hérité d’une économie de plantation et d’une vie rurale où les relations humaines primaient sur les horaires stricts. Cette inclination culturelle se retrouve dans le langage courant : on parle de profiter du moment présent, on accepte plus aisément le retard de quelques minutes d’un interlocuteur (« quart d’heure créole » comparable au quart d’heure antillais), et l’on privilégie la conversation directe à l’empressement de conclure une affaire.
Pour autant, La Réunion moderne n’échappe pas aux exigences d’urgence de notre époque, ce qui crée un décalage parfois conflictuel. L’île est pleinement intégrée au cadre administratif français et européen, avec des normes de performance, des échéances budgétaires et des plans d’action souvent calés sur ceux de la métropole. Les politiques publiques nationales – qu’il s’agisse de déploiement du numérique, de réforme de tel service ou de plan de relance – s’appliquent à La Réunion avec des calendriers serrés et des indicateurs de résultat identiques. Ce rythme imposé peut entrer en collision avec les réalités du terrain réunionnais. Par exemple, la notion d’urgence elle-même peut y être perçue différemment : si les usagers réunionnais attendent bien sûr des réponses rapides pour leurs besoins essentiels, ils sont en même temps attachés à une certaine humanisation des rapports. Le temps passé à dialoguer avec un agent, à expliquer sa situation, est valorisé positivement, là où l’administration “à distance” et expéditive suscite de la méfiance.
Il existe en outre un temps politique local qui s’est construit historiquement à La Réunion. Les élus locaux – conseillers départementaux, régionaux, maires – ont parfois développé un art de la temporisation. Sur des sujets sensibles (ex : grands chantiers d’aménagement, réformes sociétales), il n’est pas rare que la décision prenne du retard, le temps de négocier les équilibres locaux ou d’attendre le moment opportun. Cette gestion du temps à des fins stratégiques peut être interprétée, au choix, comme de la prudence avisée ou comme de l’immobilisme. Les citoyens réunionnais, quant à eux, oscillent entre la revendication d’une action rapide de l’État sur les urgences sociales (chômage des jeunes, vie chère, logement…) et la défense de leurs rythmes de vie contre les intrusions jugées trop brutales. Ainsi lors des mouvements sociaux (tels les Gilets Jaunes en 2018), on a vu émerger un discours refusant d’« être traités comme en Métropole » quant aux mesures d’application trop rapides, et réclamant une adaptation aux spécificités locales, y compris temporelles.
On peut enfin noter que le langage populaire réunionnais a ses propres termes pour décrire le rapport difficile au temps administratif. L’expression ralé-poussé (littéralement “tirer-pousser”) est utilisée pour dépeindre les trajets interminables d’un guichet à l’autre, les allers-retours pour un papier manquant, bref le parcours du combattant administratif. Cette expression imagée trahit une réalité : la lenteur bureaucratique est suffisamment ancrée dans l’expérience des usagers pour avoir été nommée et tournée en dérision dans la culture locale. Elle renvoie à un sentiment de décalage entre des services publics déconnectés et l’urgence ressentie par la population dans certaines situations.
Exemples concrets de lenteur dans les services publics réunionnais
Plusieurs secteurs de l’action publique à La Réunion illustrent cette lenteur, qu’elle soit subie par les usagers ou parfois assumée par l’administration :
- Administration générale (papiers d’identité, titres, préfecture) : Faire ou refaire ses documents officiels relève du défi logistique. Les délais pour obtenir un passeport ou une carte d’identité se comptent en mois. En 2023, on constatait « quatre mois minimum » d’attente pour un passeport, malgré les plans d’urgence déployés par le gouvernement. Les usagers font la queue dès l’aube devant les mairies équipées, certains parcourent des dizaines de kilomètres jusqu’aux communes les plus reculées pour tenter d’y trouver un créneau disponible. Une enquête locale décrit des personnes arrivant à 4h du matin et patientant plusieurs heures pour être sûres de déposer leur dossier. Malgré les mesures (décentralisation des demandes dans les mairies annexes, plages sans rendez-vous réservées aux résidents), l’attente reste longue, nourrissant un profond ras-le-bol. « Attendre, attendre, encore et toujours, voilà le quotidien de nombreux Réunionnais » pour ces démarches essentielles.
- Prestations sociales et médicales (CAF, CPAM, hôpitaux) : Les services sociaux sont également pointés du doigt. Des allocataires de la CAF (Caisse d’Allocations Familiales) rapportent des délais de traitement de plusieurs semaines pour des dossiers urgents d’aide sociale. À la CPAM, des patients attendent des remboursements de soins pendant des mois, là où la norme nationale serait de quelques jours. Le système de santé subit de son côté les effets d’un sous-effectif chronique : aux urgences hospitalières, l’attente peut s’étirer de façon dramatique. Au Centre Hospitalier Ouest Réunion (CHOR) par exemple, le temps d’attente aux urgences « peut varier entre 15 minutes et 15 heures » selon l’infirmière syndicale Z. Givran, témoignant d’une situation de flux tendu extrême. Faute de moyens suffisants, les hôpitaux de l’île doivent régulièrement activer le plan de déprogrammation pour faire face à l’engorgement des services d’urgence. Ces lenteurs dans le domaine sanitaire ne sont pas anodines : elles touchent au vital et nourrissent un sentiment d’abandon ou d’injustice parmi les usagers.
- Emploi et insertion professionnelle : La lutte contre le chômage (structurellement élevé à La Réunion) exige un déploiement rapide de dispositifs (formations, contrats aidés, accompagnement renforcé). Or la mise en œuvre de ces politiques de l’emploi souffre souvent de délais administratifs et procéduraux. Par exemple, un plan national d’insertion jeune peut mettre plusieurs mois à se décliner localement, le temps que les financements soient transférés et que les opérateurs sur le terrain s’organisent. Pour un jeune en attente d’une formation, ces lenteurs administratives signifient des mois d’incertitude supplémentaires. De même, Pôle Emploi à La Réunion est confronté à un afflux important de demandeurs et peine à traiter rapidement toutes les demandes d’indemnisation ou d’accompagnement individualisé. Le résultat, ce sont des rendez-vous espacés, des réponses tardives, et une frustration tant du côté des usagers que des agents qui manquent de ressources pour agir plus vite.
- Urbanisme et infrastructures : Le domaine de l’urbanisme illustre une autre facette de la lenteur, liée à la complexité des procédures et aux aléas techniques. Un cas emblématique est celui de la Nouvelle Route du Littoral (NRL), chantier pharaonique lancé en 2014 pour sécuriser la liaison côtière de l’île. Prévue initialement pour 2020, la livraison de cette route a été repoussée d’abord à 2023, puis sine die en raison de multiples retards. En 2021, on constatait que le chantier tournait « au ralenti depuis 2019 », accumulant les contretemps et doublant presque son coût. Si la NRL est un cas extrême, nombre de projets d’aménagement (constructions de logements, équipements publics) connaissent des dilatations de calendrier dues aux études d’impact, aux recours juridiques, ou simplement aux difficultés de coordination entre acteurs. Par ailleurs, les autorisations d’urbanisme individuelles (permis de construire) suivent les délais réglementaires (deux à trois mois minimum), mais sur le terrain, l’instruction peut s’éterniser dès qu’une pièce manque ou qu’un avis extérieur tarde à parvenir depuis la Métropole. Cette lenteur dans l’urbanisme freine la réponse aux besoins pressants (logement, mobilité) et peut décourager les investisseurs, qui dénoncent parfois la bureaucratie locale.
- Commande publique et interventions de l’État : Enfin, la passation des marchés publics et le déploiement des politiques publiques nationales subissent des retards à La Réunion. Des appels d’offres infructueux (faute de candidats locaux suffisamment armés, ou du fait de contraintes mal adaptées au contexte insulaire) entraînent la répétition des procédures et donc des délais additionnels avant réalisation concrète. Un exemple cité est la construction de certains bâtiments scolaires financés par l’État : plusieurs chantiers ont pris du retard car les entreprises retenues n’avaient pas anticipé les surcoûts d’importation de matériaux, obligeant à renégocier les contrats. Sur le plan administratif pur, des décisions comme l’instruction d’un dossier d’asile par la préfecture de La Réunion subissent à la fois la lourdeur nationale et les contingences locales (traduction, éloignement des centres de décision). À Mayotte – autre territoire ultramarin – on constate que les demandes de titre de séjour mettent « de un à trois ans » à aboutir, contre un an en métropole ; La Réunion, mieux dotée, s’en sort un peu plus rapidement mais reste loin des standards des grandes préfectures de Métropole.
Ces exemples, issus de domaines variés, dressent le constat d’une lenteur structurelle de nombreux services publics réunionnais. Ils montrent aussi que cette lenteur est multicausale : manque de moyens et d’anticipation, procédures uniformes inadaptées au contexte, choix locaux de temporisation, ou encore inertie bureaucratique héritée. La perception côté usagers est sans appel – « de plus en plus de Réunionnais se disent à bout face à des services publics déconnectés de leurs réalités ». Pour autant, faut-il y voir seulement un dysfonctionnement, ou aussi l’expression d’un temps local différent ?
Lenteur : frein bureaucratique ou résistance salutaire ?
Une analyse critique de cette “lenteur” réunionnaise s’impose, afin d’en saisir l’ambivalence. D’un point de vue administratif classique, toute lenteur excessive est un frein : elle retarde la satisfaction des usagers, engendre des coûts supplémentaires (les retards de chantier de la NRL se chiffrent en dizaines de millions), altère la crédibilité de l’action publique et peut même causer des préjudices (des droits non versés à temps, des maladies aggravées faute de prise en charge rapide, etc.). La lenteur nourrit aussi la défiance : face à des guichets fermés ou des lignes téléphoniques injoignables, les citoyens perdent confiance et développent un sentiment d’injustice. À La Réunion, comme ailleurs, la lenteur bureaucratique alimente le discours du « service public défaillant », justifiant aux yeux de certains des réformes drastiques, des recentralisations, voire des privatisations pour introduire davantage d’efficacité. En ce sens, elle peut apparaître comme un obstacle au développement : par exemple, une entreprise qui met des mois à obtenir une autorisation d’exploitation renoncera peut-être à investir, ce qui coûte en emplois locaux. On comprend dès lors la tentation de combattre la lenteur par tous les moyens : simplification à marche forcée des procédures, introduction de guichets uniques, de délais réglementaires stricts, ou encore numérisation massive (pour automatiser et accélérer le traitement des demandes).
Cependant, limiter l’analyse à ce versant négatif serait réducteur. La lenteur peut aussi être le révélateur de valeurs positives et de résistances utiles. Plusieurs arguments étayent cette idée :
- D’abord, certaines lenteurs traduisent une volonté de bien faire. Prendre du temps pour examiner un dossier complexe en profondeur, c’est éviter l’erreur ou la décision bâclée. Dans le champ social, de nombreux travailleurs sociaux à La Réunion expriment le besoin de « temps humain » pour accompagner correctement les usagers, face à une hiérarchie qui leur demande des « flux » et des chiffres. Ici, la lenteur est synonyme de qualité et d’humanité du service rendu. Elle humanise la relation administrative en évitant de traiter les personnes comme de simples numéros. Ce temps investi peut même prévenir des coûts ultérieurs (par exemple, un examen approfondi d’une situation évite une réponse inadaptée qui, plus tard, nécessiterait de rattraper les dégâts).
- Ensuite, la lenteur peut constituer une forme de résistance à la déshumanisation et à la marchandisation de l’action publique. Dans un monde où tout est pressé par la rentabilité immédiate, le fait que l’administration conserve un tempo plus lent est parfois salutaire. C’est ce que suggère la sociologie des temporalités en entreprise : face à la dictature du court terme, les organisations qui réhabilitent le temps long construisent une pérennité plus solide. De même, la fonction publique, en n’épousant pas intégralement le rythme effréné du marché, préserve un espace de respiration collective. On l’a vu avec la crise sanitaire du Covid-19 : la précipitation initiale a laissé place à une gestion plus posée, intégrant des concertations locales et du « temps calme » pour la pédagogie, condition nécessaire à l’acceptation des mesures. Massé le souligne : « la réponse aux urgences implique de maîtriser le temps de la compréhension et laisser le temps à la confiance de s’installer ». Ce qui peut sembler inertie bureaucratique cache parfois une sagesse stratégique – celle de ne pas céder aux réactions impulsives, de laisser mûrir les décisions et d’éviter les coups partis irréversibles.
- Par ailleurs, la lenteur peut être l’expression d’une adéquation aux temporalités locales. À La Réunion, on l’a vu, les rythmes sociaux et culturels sont un peu différents de ceux de Paris. Une action publique trop rapide, imposée sans transition, risque de “manquer sa cible” car la population n’a pas eu le temps de s’approprier le changement. Inversement, en modulant le tempo, l’administration peut mieux accompagner les évolutions. Par exemple, lors de la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, les services fiscaux locaux ont pris le temps d’expliquer, de phaser les étapes, sachant que nombre de contribuables réunionnais non imposables n’étaient pas familiers de ces démarches en ligne. Cette pédagogie patiente a sans doute évité des incompréhensions massives. Ici, ce qu’on aurait pu dénoncer comme de la lenteur (retarder l’échéance, multiplier les réunions d’information) a en réalité permis une synchronisation entre le rythme administratif et le rythme d’apprentissage du public.
- Enfin, il faut souligner que la lenteur administrative renvoie aussi à des résistances internes de la part des agents. Tous ne sont pas formés à la même cadence, tous ne disposent pas des mêmes outils. Face à des réformes incessantes, certains personnels adoptent (consciemment ou non) des stratégies de ralentissement pour préserver leur santé mentale ou la qualité de leur travail. Cela a été observé dans de nombreux services publics en France : la multiplication des tâches et des indicateurs conduit soit à l’épuisement, soit à la prise de distance salutaire (le « slow working »). À La Réunion, où le service public est un gros employeur, cette question du bien-être au travail des agents joue sur les temps de traitement. Plutôt que d’y voir uniquement de la mauvaise volonté ou de la routine, on peut y lire la manifestation d’une demande de sens et de soutenabilité du travail. Autrement dit, la lenteur peut être le langage par lequel l’organisation exprime ses limites face à la surchauffe.
En somme, la lenteur de l’action publique réunionnaise est un phénomène à double face. Oui, elle est parfois un frein réel, lourd de conséquences négatives pour la population et le développement économique. Mais elle peut aussi être interprétée comme le reflet de choix implicites (privilégier l’humain, temporiser pour mieux réussir) et comme un contrepoids à la frénésie contemporaine. Cette dualité invite à dépasser l’opposition simpliste « archaïsme bureaucratique vs efficacité moderne ». Il s’agit plutôt de reconnaître qu’il existe plusieurs régimes de temporalité en tension, et que toute réforme du service public devrait viser à les réconcilier plutôt qu’à en nier un au profit exclusif de l’autre.
Comparaison : regards croisés avec d’autres territoires insulaires
La situation réunionnaise n’est pas unique. D’autres territoires insulaires ou ultramarins connaissent des problématiques similaires de temps public, mêlant retards bureaucratiques et rythmes culturels distincts :
- Mayotte (océan Indien) – département français le plus récent – illustre à l’extrême les lenteurs administratives. Les procédures y sont souvent beaucoup plus longues qu’en métropole, faute de moyens et du fait d’un cadre juridique en adaptation. Un rapport du Sénat relevait que les demandes de titre de séjour ou d’asile à Mayotte s’échelonnaient « de un à trois ans » quand la moyenne est d’un an en métropole. On note également « l’extrême lenteur » de la préfecture pour traiter certains dossiers (régularisations pour raison médicale). Ces retards alimentent de fortes tensions sociales dans une île confrontée à une immigration massive et à une précarité importante. Mais ils sont aussi partiellement imputables à la nécessité d’ajuster les politiques nationales à un contexte local très particulier (par exemple, instruire des dossiers dans plusieurs langues, gérer des flux sans commune mesure avec la population locale, etc.). La lenteur à Mayotte est donc à la fois un dysfonctionnement (manque de juges, de greffiers, de guichets) et le symptôme d’un décalage de temporalité entre l’État de droit français et une société mahoraise en profonde transition.
- Polynésie française (Pacifique) – autre collectivité ultramarine – offre un exemple intéressant de prise de conscience politique autour du temps administratif. Lors d’un débat à l’Assemblée de Polynésie en 2024, un élu s’est emporté en disant : « C’est l’image même de la lenteur de l’Administration de notre pays ! Est-ce qu’un jour on pourra activer plus rapidement les dossiers ? ». Ce cri du cœur traduit le ras-le-bol devant des retards jugés excessifs dans la réalisation de projets locaux. En Polynésie, où la culture valorise la nonchalance et la palabre, l’administration est perçue comme encore plus lente qu’ailleurs – au point de devenir un enjeu de discours public. La phrase de l’élu polynésien mêle ainsi agacement et appel à moderniser le fonctionnement de l’État local. Toutefois, la Polynésie illustre aussi l’idée d’une temporalité insulaire adaptée : on y a vu, par exemple, l’État accepter de déroger au rythme national de vaccination Covid pour tenir compte de la logistique des îles éloignées et du temps nécessaire afin de convaincre les chefs coutumiers. Ce compromis a permis d’éviter un rejet brutal de la campagne vaccinale. Là encore, la lenteur initiale (perçue comme un retard) a été mise à profit pour une acculturation progressive, gage d’efficacité à terme.
- Antilles françaises (Guadeloupe, Martinique) – on y retrouve l’expression humoristique du « quart d’heure antillais » pour évoquer la tolérance à un léger retard dans les rendez-vous. Ce trait culturel, parfois moqué, révèle un rapport au temps plus flexible qu’en France hexagonale. Administrativement, les Antilles connaissent aussi de notoires lenteurs : qu’il s’agisse de la reconstruction post-ouragans (avec des fonds qui mettent des années à être mobilisés) ou de la gestion des crises sanitaires (l’épidémie de chloredécone par exemple, où les plans d’action ont tardé à se concrétiser). La population antillaise exprime fréquemment une frustration envers un État jugé lent à tenir ses promesses. En même temps, certaines décisions imposées abruptement (réforme des carburants, évolution statutaire) ont suscité un rejet, précisément parce qu’elles allaient trop vite sans respecter le rythme du dialogue local. Les Antilles offrent ainsi l’image d’une double exigence : « accélérer les traitements administratifs, mais ralentir pour écouter la société civile ». Trouver ce juste tempo reste un défi.
- Corse (Méditerranée) – bien que région métropolitaine, la Corse partage, en tant qu’île, des spécificités temporelles. L’administration y a souvent été perçue comme lointaine et paperassière, générant des lenteurs dans des domaines critiques (permis de construire, subventions agricoles, etc.). Certains y voient la conséquence d’un centralisme inadapté aux réalités locales. La Corse a réclamé et obtenu davantage d’autonomie de gestion, justement pour pouvoir adapter les procédures et gagner du temps dans l’action publique. Par exemple, la Collectivité de Corse, compétente en aménagement, peut ajuster ses appels à projets aux calendriers des acteurs insulaires (périodes touristiques, disponibilité des entreprises locales). On note par ailleurs qu’en Corse, la tradition orale et le consensus communautaire jouent un rôle dans le temps politique : une décision prendra le temps d’être acceptée par les différentes composantes de la société insulaire, faute de quoi elle sera bloquée. Ainsi, de même qu’à La Réunion, la construction du temps local est un paramètre que l’action publique doit intégrer sous peine d’échec.
En comparant ces territoires, on constate un point commun : la tension entre des normes temporelles “importées” (souvent perçues comme trop rapides, trop pressées) et des temporalités endogènes (plus lentes, mais aussi plus ancrées dans le tissu social local). Partout, la lenteur administrative est critiquée lorsqu’elle entrave les besoins urgents, mais partout également émerge l’idée qu’il faut composer avec des rythmes locaux au lieu de les nier. Ces exemples offrent des pistes d’inspiration réciproques : La Réunion peut apprendre de la Polynésie comment instaurer un dialogue sur la gestion du temps public ; les Antilles et Mayotte peuvent regarder l’expérience réunionnaise de déconcentration administrative pour réduire certains délais, etc. Le “droit à la lenteur” prend ici une signification universelle : celle du droit des territoires et des communautés à maîtriser leur temps, à ne pas subir uniquement l’horloge globale. Il ne s’agit pas de défendre l’inefficience, mais de promouvoir une efficacité contextualisée et humaine.
Pistes de réflexion pour intégrer la temporalité locale dans l’action publique
Face à ces constats, comment repenser l’ingénierie publique afin d’articuler efficacité et respect des temporalités locales ? Voici quelques pistes d’action et de réflexion à l’attention des décideurs et cadres de la fonction publique :
- Adapter les dispositifs nationaux aux rythmes locaux : Plutôt que d’appliquer uniformément les calendriers décidés à Paris, instaurer des marges de manœuvre temporelles pour les services déconcentrés outre-mer. Concrètement, il s’agirait par exemple de phaser l’entrée en vigueur des réformes en prévoyant une phase d’appropriation locale (information, formation, test) plus longue à La Réunion et dans les DOM. De même, pour les grands projets, calibrer les délais en tenant compte des réalités insulaires (contraintes logistiques, saison cyclonique, consultations traditionnelles). Cette territorialisation du tempo pourrait être formalisée par une circulaire ou un guide de bonnes pratiques de l’administration outre-mer, afin de donner un cadre clair tout en laissant la souplesse nécessaire.
- Repenser la notion d’efficacité publique : Aujourd’hui, l’efficacité est majoritairement mesurée en termes quantitatifs et de rapidité (nombre de dossiers traités, délais moyens, etc.). Il conviendrait de la redéfinir en intégrant des indicateurs de qualité et de satisfaction qui valorisent une exécution au bon rythme. Par exemple, un dispositif dont la mise en œuvre prend un peu plus de temps mais aboutit à un taux de satisfaction et de réussite supérieur devrait être considéré comme plus efficace qu’une mesure expédiée rapidement mais mal acceptée. Il s’agit de passer d’une culture du résultat immédiat à une culture du résultat durable. Les outils d’évaluation pourraient inclure des enquêtes auprès des usagers sur leur perception du timing des services : « le service X a-t-il traité votre problème trop lentement, trop rapidement (superficiellement) ou dans un temps adapté ? ». Ce type de retour qualitatif permettrait d’ajuster les procédures pour coller au juste temps.
- Valoriser les “rythmes endogènes” et l’expérimentation locale : Plutôt que de voir les temporalités locales comme un problème, on peut en faire une ressource. La Réunion, par son caractère insulaire, peut servir de laboratoire de démarches innovantes privilégiant le temps long. Par exemple, instaurer dans certains services une plage horaire sans rendez-vous où les agents prennent le temps nécessaire avec chaque usager, quitte à en recevoir moins, et évaluer l’impact sur la résolution effective des cas. Ou encore, encourager des projets pilotes de “slow administration” : simplification extrême des procédures sur un dossier type, mais avec un accompagnement humain renforcé – pour voir si l’alliance de la simplicité et de la patience améliore le service. Ces expérimentations, menées avec les agents de terrain, pourraient déboucher sur de nouvelles normes de fonctionnement plus en phase avec la population. Il s’agit en somme de légitimer le droit à la lenteur lorsqu’il est synonyme de mieux-faire, et non de le confondre avec de l’inertie injustifiée.
- Former et sensibiliser les acteurs publics à la gestion du temps : La variable temporelle devrait devenir un volet à part entière de la formation des cadres. Comprendre la sociologie du temps, les enjeux du chrono-urbanisme, la chronobiologie sociale (heures de prière, rythme scolaire, etc.), c’est donner aux décideurs des clés pour ajuster leurs politiques. À l’École du Management Public, on pourrait imaginer un module spécifique sur “Temps et performance publique”, qui outille les futurs responsables pour arbitrer entre urgence et délai optimal. Par ailleurs, sensibiliser les agents sur le terrain aux différences de perception du temps (par exemple via des ateliers d’échanges entre jeunes recrues métropolitaines et agents créoles plus expérimentés) aiderait chacun à mieux vivre ces décalages et à trouver des compromis concrets dans l’organisation du service (rythme de travail, plages d’accueil, etc.). Une administration agile temporellement est une administration capable d’accélérer quand il le faut, et de ralentir quand c’est bénéfique.
- Instaurer un dialogue régulier avec les usagers sur le temps administratif : Enfin, il serait opportun d’intégrer la question des délais et de la temporalité dans les instances de consultation citoyenne (conseils de développement, enquêtes de satisfaction, etc.). Plutôt que de subir passivement les reproches, l’administration gagnerait à co-construire avec les usagers un pacte de délais acceptables. Par exemple, fixer avec les associations d’usagers des objectifs de réduction de certaines files d’attente, mais aussi convenir ensemble que pour tel type de prestation nécessitant du temps (ex : accompagnement social approfondi), une certaine lenteur est normale et souhaitable. Cette pédagogie partagée du temps public permettrait de restaurer de la confiance : l’usager, s’il sait à quoi s’attendre et pourquoi on lui demande d’attendre, vivra mieux la situation. La transparence sur les étapes et les durées incompressibles (ou au contraire sur les marges de manœuvre possibles) peut désamorcer bien des frustrations. En somme, faire du citoyen un partenaire temporel de l’action publique, et non plus seulement un client pressé, est une piste pour réconcilier efficacité et lenteur.
Conclusion
En guise de conclusion, il apparaît que le “droit à la lenteur” dans l’action publique réunionnaise ne saurait être ni une simple excuse au laxisme, ni une idée utopique incompatible avec la modernité. L’analyse menée montre qu’il s’agit d’un enjeu complexe, impliquant de concilier des impératifs de réactivité avec la reconnaissance de temporalités locales légitimes. La lenteur administrative, tant honnie dans le discours public, revêt en réalité des significations plurielles : elle est à combattre sans merci lorsqu’elle résulte de lourdeurs inutiles ou de négligences, mais elle est à réhabiliter lorsque, synonyme de maturation et d’humanisation, elle garantit la soutenabilité de l’action publique. Pour un cadre supérieur de la fonction publique, la gageure est précisément d’arbitrer entre ces deux faces. Accélérer la machine administrative là où elle entrave inutilement la vie des gens (La Réunion ne peut se satisfaire de délais de plusieurs mois pour des papiers d’identité ou d’années pour des projets vitaux) ; mais ralentir le tempo là où l’excès de vitesse nuirait à la qualité du service ou à l’adhésion du public (par exemple, dans la conduite du changement auprès des agents et des citoyens).
La contextualisation territoriale apparaît comme la clé de voûte de cette stratégie. Adapter l’action de l’État aux spécificités insulaires de La Réunion, c’est accepter une forme de différenciation temporelle. Il ne s’agit pas de créer des droits inférieurs pour les ultramarins, mais au contraire de leur permettre de jouir pleinement du service public, ce qui passe par le respect de leur réalité temporelle. Un ingénieur territorial ou un administrateur en chef devront ainsi intégrer dans leurs projets la variable temps au même titre que la variable budget ou les contraintes techniques. Anticiper les délais incompressibles (transport, concertation), moduler les cadences selon les publics (accélérer pour les urgences sociales, ménager du temps pour l’accompagnement humain), et innover dans la gestion du temps (par exemple via le numérique bien pensé, qui réduit les attentes sans déshumaniser) – voilà quelques-unes des compétences à développer.
En pratique, les préconisations concrètes pourraient inclure l’instauration, au niveau de la préfecture et des grands services de l’État à La Réunion, d’un dispositif de “gestion du temps local”. Ce comité, associant administration et représentants de la société civile, veillerait périodiquement à identifier les points noirs en matière de délais et à y apporter des solutions sur mesure. Il pourrait aussi valoriser les succès où une meilleure prise en compte des temporalités a produit des résultats probants (par exemple, tel programme dont l’évaluation montre qu’en donnant plus de temps aux acteurs, on a eu un meilleur impact). Ce changement de paradigme suppose un soutien au plus haut niveau : la puissance publique doit envoyer le signal qu’elle ne juge pas son efficacité à l’aune unique de la vitesse.
Au fond, garantir un droit à la lenteur, c’est reconnaître que l’efficacité réelle d’une politique publique se mesure in fine à son appropriation par les femmes et les hommes qu’elle concerne, et non au seul chronomètre. C’est redonner au temps sa juste place, non comme un ennemi à abattre, mais comme un outil au service de l’intérêt général, un allié pour construire des actions publiques durables, adaptées et inclusives. Pour La Réunion, comme pour d’autres territoires insulaires, cela pourrait bien être la voie d’une administration à la fois plus performante et plus humaine, où la lenteur choisie devient gage de sagesse et de réussite sur le long terme.
Sources : Hartmut Rosa (théorie de l’accélération); Norbert Elias (sociologie du temps); Francis Massé (Urgences et lenteur, 2017); Études insulaires (temporalités spécifiques); Dubasque (bureaucratie et lenteur); Journal.re (services publics à La Réunion); Imaz Press (difficultés papiers d’identité); Sénat – Mayotte (procédures très lentes); Assemblée Polynésie (critique de la lenteur); Batiactu (NRL, retards du chantier); Étude temporalités locales (résistance au présentisme).

