Pou fè kout
Congestion record : réseaux routiers saturés, dépendance massive à la voiture, attentes fortes pour une alternative structurante.
Réunion Express : projet de TER de 140 km, colonne vertébrale d’un réseau multimodal (BHNS, téléphériques, modes doux) pour désenclaver l’île.
Financement encore fragile : coût de 4 à 6 Md€, forte dépendance aux arbitrages de l’État et de l’UE malgré l’effort fiscal local.
Projet nécessaire mais incertain : contraintes techniques, risques de surcoût et aléas politiques → succès conditionné à une approche progressive et à des garanties financières solides.
La congestion routière à La Réunion atteint un niveau critique, avec plus de 30 km de bouchons quotidiens et jusqu’à 83 % des déplacements domicile-travail effectués en voiture. Chaque année, 3 200 automobilistes supplémentaires rejoignent le réseau routier insulaire, aggravant les embouteillages autour des principaux pôles d’emploi. Face à ce « coma circulatoire » qui pénalise lourdement les déplacements et l’économie locale, les autorités réunionnaises misent sur un retour du transport ferré. Un chemin de fer a existé sur l’île jusqu’en 1963, et l’idée d’un train moderne ressurgit aujourd’hui comme solution structurelle plébiscitée par la population (77 % d’avis favorables lors des consultations régionales).
Le projet « Réunion Express » vise ainsi à créer un Train Express Régional (TER) de 140 km entre Saint-Benoît (Est) et Saint-Joseph (Sud) en passant par les principaux centres urbains. Conçu pour des trains légers circulant à 100-110 km/h, il comprendrait 25 gares et pourrait transporter jusqu’à 100 000 voyageurs par jour, tout en assurant du fret (liaison du Grand Port Maritime, des aéroports, etc.). Ce projet ferroviaire est présenté comme la colonne vertébrale d’un réseau de mobilité intégrée, connecté aux bus à haut niveau de service, aux pôles d’échanges multimodaux, aux téléphériques urbains et aux voies cyclables. L’enjeu affiché est de proposer une alternative fiable et rapide à la voiture individuelle, afin de réduire drastiquement les temps de trajet et les émissions polluantes, tout en accompagnant un aménagement du territoire plus dense autour des gares.
Après les États généraux des mobilités de 2023 et la signature en août 2025 d’une feuille de route partenariale par la Région et les intercommunalités, le projet bénéficie d’un large soutien institutionnel local. Il constitue un tournant stratégique pour « sortir de l’impasse du tout-voiture ». Néanmoins, il convient d’analyser les conditions de faisabilité financière et les risques associés à cette infrastructure sans précédent en outre-mer.
Financement du projet
Le coût d’investissement du Réunion Express est estimé entre 4 et 6 milliards d’euros au stade préliminaire. Compte tenu de l’ampleur de cette enveloppe, un étalement en phases est envisagé. Les premières sections prioritaires – Saint-Benoît à Saint-Paul (côte nord-ouest) et Étang-Salé à Saint-Pierre (sud) – concentreraient les travaux initiaux, pour un coût estimé d’environ 3 milliards d’euros (2,2 md€ pour l’infrastructure ferroviaire et 0,8 md€ pour les systèmes d’acheminement vers les gares : réseau bus, téléphériques, etc.). La mise en service de ces tronçons pilotes n’interviendrait pas avant 2035, l’horizon de 2030 étant évoqué pour le début des chantiers. Ces projections soulignent un calendrier long, justifiant des mesures transitoires pour les mobilités actuelles.
Le montage financier repose sur un panachage de ressources. D’une part, la Région prévoit de recourir à un emprunt massif (« grand emprunt ») dont le remboursement s’appuierait sur de nouveaux leviers fiscaux locaux. Notamment, la création ou l’augmentation du Versement Mobilité (ex-« versement transport ») à l’échelle régionale – y compris en zones rurales – est envisagée, de même qu’une affectation d’une part de la taxe de séjour touristique. Ces contributions locales permettraient de dégager des recettes dédiées au projet, sans pour autant couvrir la totalité du besoin de financement.
D’autre part, la participation de l’État et de l’Union européenne est attendue pour boucler le plan de financement. La présidente de Région a explicitement demandé que l’outre-mer ait sa part du plan national de 100 milliards d’euros pour le ferroviaire annoncé en 2023. Dans cette optique, La Réunion a sollicité et obtenu une labellisation « Service Express Régional Métropolitain » (SERM) – la seule attribuée hors de la France hexagonale – ce qui lui confère un accès prioritaire à certains financements spécifiques de l’État et un appui technique renforcé. Par ailleurs, des fonds européens structurels ou de cohésion pourraient être mobilisés, La Réunion pouvant faire valoir son statut de région ultrapériphérique pour bénéficier de subventions exceptionnelles au titre de la transition écologique et de la réduction des inégalités territoriales. À ce stade, toutefois, aucun engagement chiffré formel de l’État ou de l’UE n’est acté, hormis des appuis aux études préalables. Le financement reste donc partiellement indéterminé, subordonné aux arbitrages nationaux à venir et aux résultats du débat public.
Pour piloter ce grand projet et sécuriser les financements dans le temps, la création d’une Société Locale des Grands Projets (SLGP) est programmée. Inspirée du modèle du Grand Paris Express, cette entité dédiée rassemblera les partenaires locaux et éventuellement nationaux, afin d’assurer la maîtrise d’ouvrage unifiée et la transparence financière du chantier. Un Groupement d’Intérêt Public (GIP) transitoire doit être mis en place dès fin 2025 pour préfigurer cette société. Cette gouvernance spécialisée vise à renforcer la crédibilité du projet vis-à-vis des bailleurs de fonds et à faciliter la gestion des investissements sur plusieurs exercices budgétaires.
Défis, incertitudes et perspectives
Malgré un consensus local affiché, le projet Réunion Express fait face à d’importants défis techniques et financiers. D’une part, son tracé côtier impose des ouvrages d’art complexes (ponts, viaducs), notamment pour franchir des reliefs sensibles comme le pont de la rivière Saint-Denis (Vinh-San) ou s’insérer aux abords de la nouvelle route du littoral (NRL). La réussite du projet est d’ailleurs en partie conditionnée à l’achèvement de la NRL, qui doit fournir l’assise d’une portion du corridor de transport. Ces contraintes techniques pourraient engendrer des surcoûts et aléas de calendrier.
D’autre part, le bouclage du financement n’est pas garanti à ce jour. La fourchette de 4 à 6 milliards d’euros demeure indicative et susceptible d’évoluer en fonction des études d’avant-projet. Aucune décision n’est encore prise quant à la subvention d’équilibre de l’État, qui sera déterminante pour lancer les travaux. L’incertitude sur les financements extérieurs est pointée comme un point faible majeur du projet. La capacité d’endettement de la collectivité régionale est limitée : même avec le levier du versement mobilité et des taxes locales, le service de la dette d’un emprunt pluri-milliardaire pourrait peser lourdement sur les finances locales sur plusieurs décennies. Le recours à des financements innovants (tels que des prêts à long terme de la Banque européenne d’investissement) n’est pas encore clarifié. Sans concours significatifs de l’État et de l’UE, la viabilité financière du Réunion Express serait compromise, ou imposerait de phaser les travaux sur une période encore plus étalée.
Par ailleurs, des voix discordantes s’élèvent quant à la stratégie choisie. Le parti écologiste local (EELV) juge le concept de train régional lourd irréaliste à court terme et trop coûteux, parlant d’« impasse annoncée ». Il plaide pour des solutions alternatives, plus modulaires et rapides à déployer, comme des tramways ou tram-trains urbains sur les axes les plus encombrés de l’île (par exemple Saint-Denis ↔ Saint-Benoît à l’est, Le Port ↔ Saint-Paul à l’ouest, Étang-Salé ↔ Saint-Pierre au sud). Selon ces opposants, de tels modes ferrés légers offriraient un coût initial moindre et une mise en service plus rapprochée, tout en étant plus soutenables en exploitation pour les budgets locaux. Ces arguments témoignent de la vigilance sur le risque d’immobilisme : l’ampleur du projet Réunion Express ne doit pas retarder indûment la mise en œuvre de solutions intermédiaires contre les embouteillages actuels. La Région Réunion s’est engagée à ne pas exclure ces options complémentaires, tout en confirmant que le train régional demeure la solution centrale de long terme pour structurer les transports de l’île.
Enfin, l’historique des grandes infrastructures réunionnaises appelle à la prudence. En 2010, un ambitieux projet de tram-train conçu par la précédente mandature avait été abandonné avec l’alternance politique, au profit de la NRL routière. Cette annulation s’était traduite par des pertes financières (études et préparatifs sans suite) et un retard dans le développement de transports collectifs modernes. Le risque politique existe qu’un changement de majorité ou de priorités remette en cause ou ralentisse le Réunion Express, compte tenu des investissements en jeu et du calendrier s’étalant sur plus d’une décennie. Néanmoins, la situation actuelle se distingue par une union inédite des acteurs locaux (Région, intercommunalités, État local) autour du projet, ce qui pourrait sécuriser sa poursuite au-delà des échéances électorales, du moins à l’échelle régionale. Le lancement officiel d’un débat public sous l’égide de la CNDP début 2026 sera une étape clé pour consolider cette adhésion et affiner le dossier technique et financier. Les contributions du public et des experts lors de ce débat permettront d’évaluer la soutenabilité du projet, d’en ajuster éventuellement le phasage ou le périmètre, et de renforcer le dossier en vue des demandes de financements nationaux et européens.
Conclusion et perspectives
En synthèse, le Réunion Express se présente comme un projet structurant et fédérateur, porteur d’une transformation profonde des mobilités à La Réunion. Sa nécessité fait peu de doute au vu des indicateurs de congestion et des attentes citoyennes exprimées (désenclavement, alternatives durables). Toutefois, la question du financement demeure le point névralgique de sa réalisation. Les éléments réunis indiquent un montage financier encore partiel à la fin 2025, reposant sur des hypothèses (fiscalité locale, concours de l’État, fonds européens) qui devront être confirmées et consolidées dans les prochaines années. L’absence de garanties fermes à ce stade introduit une marge d’incertitude élevée, tant sur le calendrier que sur la portée exacte du projet.
Il convient donc de privilégier une approche prudente et progressive. La mise en place de la Société Locale des Grands Projets et le débat public à venir sont l’occasion de préciser les engagements financiers de chaque partie prenante et d’évaluer des scénarios adaptés aux ressources disponibles. Une actualisation des coûts devra intégrer les contraintes techniques identifiées et l’inflation des matériaux, afin d’éviter les dérives budgétaires. Parallèlement, le déploiement de solutions de mobilité transitoires (BHNS, transport guidé urbain) pourrait soulager dès à présent certaines zones, sans concurrencer le projet ferroviaire structurant.
En conclusion, le succès du Réunion Express dépendra d’un alignement des volontés politiques et des financements sur le long terme. Des arbitrages nationaux positifs – par exemple l’inscription d’une dotation significative dans le prochain contrat de plan État-Région ou la mobilisation d’instruments financiers européens – seraient de nature à sécuriser la réalisation de cette infrastructure d’ici 2035. À défaut, il faudrait envisager un recalibrage du projet (phases additionnelles, tracé réduit ou technologies moins onéreuses) pour qu’il reste soutenable. À ce stade, les informations manquent encore pour garantir une conclusion fiable quant au scenario final de financement : il est explicitement reconnu qu’une part de l’équation financière reste à résoudre. Une veille étroite sera nécessaire sur l’évolution de ces engagements. Néanmoins, la dynamique enclenchée en 2025 – avec l’adhésion des institutions locales et la structuration du portage du projet – représente un atout sérieux. Si les promesses de soutien se concrétisent, le Réunion Express pourrait constituer un tournant historique pour La Réunion, en la dotant à terme d’un réseau de transport massifié à la hauteur de ses défis économiques, sociaux et environnementaux. Les prochains mois seront décisifs pour lever les incertitudes et traduire l’ambition affichée en réalisations concrètes.
Le terme “Réunion Express” utilisé dans la commande fait référence, dans la nomenclature administrative actuelle, au Réseau Régional de Transport Guidé (RRTG), dont le premier maillon opérationnel est le projet RunRail (liaison Sainte-Marie/Duparc ↔ Saint-Denis/Bertin).
Ce projet vise à ressusciter le transport ferroviaire abandonné en 2010 (projet “Tram-Train”), dans un contexte d’asphyxie routière critique. Il s’articule avec les réseaux urbains (notamment le projet BAOBAB/TAO de la CINOR).
Architecture financière
Le financement du projet repose sur une architecture multi-bailleurs complexe, rendue nécessaire par l’incapacité de la collectivité régionale à porter seule l’investissement (Capex) au regard de son endettement résiduel lié à la Nouvelle Route du Littoral (NRL).
A. Le Socle : Contrat de Plan État-Région (CPER) 2021-2027
Le levier principal est l’avenant “Mobilités” au CPER 2021-2027, signé formellement entre l’État et la Région.
Enveloppe Globale Mobilité : Environ 1,72 milliard d’euros (tous modes confondus, incluant les routes).
Fléchage Ferroviaire : Bien que l’enveloppe soit globale, le volet “Transports collectifs en site propre” (TCSP) et ferroviaire constitue la priorité “Axe 1” de l’avenant. L’État s’engage sur ce volet pour compenser le déficit d’infrastructures durablement constaté outre-mer.
B. Les Fonds Européens (FEDER 2021-2027)
La Commission Européenne intervient au titre des RUP (Régions Ultrapériphériques). Le Programme Opérationnel (PO) FEDER 2021-2027 de La Réunion contient des lignes budgétaires spécifiques activables pour le rail :
Ligne d’action 2.8.2 : “Transport ferré / transport par câble”.
Mécanisme de compensation : Activation possible de l’aide au fret (surcoûts de transport) pour l’importation du matériel roulant et des rails (acier), vitale pour amortir l’inflation des matériaux.
C. La Capacité d’Investissement Régionale (Analyse CRC)
L’analyse des Comptes Administratifs (2023-2024) de la Région Réunion et les rapports de la Chambre Régionale des Comptes (CRC) révèlent une situation en tension mais sous contrôle :
- Autofinancement : L’épargne nette de la Région a diminué (env. 3,5 Mrd € en 2024 vs 2019), réduisant sa capacité d’autofinancement direct.
- Dette : La Région n’a pas contracté d’emprunts nouveaux majeurs en 2022-2023, ce qui indique une phase de désendettement (ou de consolidation) post-NRL.
- Conclusion partielle : La Région ne peut financer le RunRail sur fonds propres seuls. Le recours à l’emprunt (Banque des Territoires / BEI) sera inévitable pour la part régionale.
Analyse prédictive et risques identifiés
| Typologie de Risque | Description et Impact | Probabilité |
| Dérive des Coûts (Capex) | Le coût initial du tronçon RunRail (estimé à ~300 M€ en 2019) est caduc. L’inflation des BTP (+20-30% depuis 2020) et le coût du fret maritime risquent de porter ce montant à 400-450 M€. | Élevée |
| Soutenabilité de l’Exploitation (Opex) | Le modèle économique du rail est déficitaire par nature. Le risque est un “effet de ciseau” entre les recettes billetterie (faibles) et les coûts de maintenance élevés en milieu tropical. Le Versement Mobilité des entreprises sera insuffisant pour combler le déficit d’exploitation. | Certaine |
| Articulation Gouvernance | Le financement est fragmenté entre la Région (RunRail) et l’intercommunalité CINOR (Tram urbain/Téléphérique). Un défaut de synchronisation des financements (FEDER géré par la Région vs projets CINOR) pourrait bloquer les décaissements. | Moyenne |
Zone d’ombre
Pour finaliser une stratégie robuste, les éléments suivants manquent à l’appel dans la documentation publique récente :
Le coût actualisé 2025 : Aucune mise à jour officielle du budget prévisionnel post-inflation n’a été publiée.
Le montage juridique d’exploitation : Absence de décision claire entre une Régie, une DSP (Délégation de Service Public) ou un PPP (Partenariat Public-Privé). Ce choix impacte directement la comptabilisation de la dette (maastrichienne ou non).
Recommandations stratégiques
- Sécuriser l’Avenant CPER : sanctuariser les crédits État spécifiquement sur le ferroviaire avant toute réorientation budgétaire nationale (Loi de Finances).
- Unicité de Commandement : créer un syndicat mixte de transports (ou structure équivalente) unique pour fusionner les capacités d’emprunt Région/CINOR et présenter un front unique face à la BEI (Banque Européenne d’Investissement).
- Audit Opex : lancer immédiatement une étude tierce sur les coûts de fonctionnement prévisionnels pour éviter le scénario “Tram-Train 2010” (projet arrêté faute de capacité à payer le fonctionnement).
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Sources
Cour des comptes – CRC Réunion (rapport n° 2022 sur le SMTR) ; CNDP – dossier « Train Réunion Express » ; Région Réunion – feuille de route mobilités 2025 ; Le Monde (05/09/2025) ; INSEE Réunion (Analyse n°91, 2024) ; Zinfos974 (01/09/2025).
