Résilience du système électrique réunionnais sur la trajectoire d’autonomie énergétique à l’horizon 2030, face aux aléas climatiques extrêmes

5 décembre 2025

: 6 minutes

Autonomie encore “statistique”. Le mix électrique est déjà très largement renouvelable, mais repose fortement sur des biocombustibles importés ; l’autonomie fondée sur des ressources locales reste à construire.

Un système vulnérable aux chocs climatiques. Le passage de Garance a révélé la fragilité du réseau (pylônes détruits, pertes de production, recours aux moyens thermiques de secours) et la nécessité d’investir massivement dans le renforcement du réseau et le stockage.

Une transition socialement sensible. La pauvreté et la précarité énergétique rendent les ménages très exposés aux coupures et aux hausses de coûts, malgré l’existence de dispositifs ciblés (SLIME, Kap, etc.).

Des leviers structurants à saisir. Déploiement des ENR locales, renforcement du réseau, montée en puissance du véhicule électrique et projet ferroviaire « Réunion Express » peuvent améliorer à la fois la résilience du système et la justice sociale de la transition.

Carte

AxeAccessibilité (cadre, ressources, dispositifs)Vulnérabilités majeuresOpportunités structurantes
1. Cadre & gouvernance de la transition• La loi sur la transition énergétique fixe un objectif d’autonomie énergétique en 2030 pour les DROM, avec un mix électrique 100 % renouvelable en 2030 dans les zones non interconnectées (ZNI). La PPE de La Réunion est l’outil de planification dédié à cette trajectoire.

• Le Bilan énergétique 2024 de l’Observatoire Énergie Réunion (OER) confirme une électricité à 92,4 % renouvelable (ENR locales + importées) et la sortie définitive du charbon et du fioul lourd.
• Le CESE et plusieurs analyses nationales considèrent l’autonomie 2030 “difficilement atteignable” pour les outre-mer, malgré les progrès enregistrés.

• Le Bilan prévisionnel EDF 2024 anticipe, à partir de 2033, des besoins croissants en puissance pilotable complémentaire (jusqu’à 480 MW en 2040 dans un des scénarios) et recommande une “vigilance” à court terme sur l’équilibre offre-demande.
• La gouvernance énergie-climat est structurée (État, Région, DEAL, OER, PPE, schémas sectoriels), ce qui facilite la révision des trajectoires.

• La Région et l’État engagent de nouveaux outils de planification, par ex. Schéma Régional Éolien visant à tripler la puissance éolienne terrestre d’ici 2028, avec concertation publique, ce qui permet de cadrer le développement des ENR dans la durée.
2. Production & réseau électrique• En 2024, 92,4 % de l’électricité produite à La Réunion est renouvelable, dont 31,2 % issue de ressources locales (hydroélectricité, photovoltaïque, éolien, bagasse, biogaz).

• Les centrales charbon ont été converties à la biomasse (ex. Bois-Rouge 100 % pellets de bois) et la centrale du Port fonctionne désormais au biocarburant importé en substitution du fioul.
• L’« autonomie » actuelle repose largement sur des biocombustibles importés (pellets de bois, huiles, biocarburant) : des études antérieures soulignent que les gisements locaux de biomasse sont insuffisants pour remplacer les ~650 000 t/an de charbon historiquement consommés sans recourir massivement à l’import.

• Le cyclone Garance (28 février 2025) a détruit 21 pylônes haute tension et mis hors service deux lignes HT, privant jusqu’à 180 000 foyers d’électricité et coupant 80 MW de production hydroélectrique (rivière de l’Est). EDF a dû recourir à trois turbines au fioul et quatre groupes de 6 MW, ainsi qu’à des délestages, malgré l’objectif 100 % ENR.

• EDF indique que les centrales converties à la biomasse doivent encore démontrer leur fiabilité dans la durée, et que des groupes de secours resteront mobilisables pour sécuriser l’équilibre offre-demande.
• L’OER souligne un gisement encore important d’ENR locales (PV en toiture et sur sites anthropisés, éolien terrestre et possiblement off-shore, méthanisation, géothermie), freinées surtout par des contraintes administratives et techniques.

• Le Bilan prévisionnel identifie des leviers précis de résilience : stockage (batteries, STEP), compensateurs synchrones, pilotage de la demande et renforcement du réseau HTB pour absorber davantage d’ENR non pilotables.

• À la suite de Garance, EDF et RTE lancent un chantier de deux ans incluant l’enfouissement des câbles “chaque fois que possible” pour mieux intégrer les impacts du changement climatique sur le réseau.
3. Demande, mobilité & dimensions sociales• La consommation électrique augmente modérément mais reste contenue grâce aux actions de maîtrise de la demande (chauffe-eau solaires, isolation, équipements efficaces) mises en avant par l’OER.

• La pauvreté monétaire touche 36 % de la population réunionnaise en 2020, et environ 33 % des ménages sont en situation de précarité énergétique, selon des travaux académiques récents.

• La Région, avec Énergies Réunion, déploie le programme SLIME (repérage/accompagnement des ménages en précarité énergétique) et les dispositifs Kap Écosolidaire / Kap Photovoltaïque / Effi’Kaz, qui peuvent couvrir jusqu’à 80–100 % du coût HT d’un chauffe-eau solaire pour les foyers modestes.
• La forte pauvreté et la précarité énergétique accroissent la vulnérabilité sociale face aux coupures prolongées (comme après Garance) et à d’éventuelles hausses de coûts liées aux importations de biomasse ou aux investissements réseaux (analyse).

• Le secteur des transports, dominé par la voiture individuelle, reste le “défi majeur” de la transition énergétique : la PPE et l’OER soulignent la dépendance aux carburants fossiles et la nécessité d’un développement rapide du véhicule électrique et de nouvelles solutions pour les poids lourds.
• La feuille de route partenariale des mobilités signée le 29 août 2025 place le projet ferroviaire “Réunion Express” (140 km, lancement de chantier envisagé en 2030, mise en service à partir de 2035) au cœur d’un futur réseau intermodal (train, bus, téléphériques, modes doux), plébiscité par 77 % des habitants consultés.

• Le Bilan prévisionnel prévoit une montée en puissance du véhicule électrique et insiste sur le pilotage de la recharge pour lisser la demande, valoriser la production solaire diurne et limiter la puissance de pointe : cela peut transformer les batteries des véhicules en ressource de flexibilité pour le système.

• Les dispositifs SLIME et Kap peuvent être massifiés comme outils de justice sociale de la transition (ciblage des ménages modestes, baisse des factures et amélioration du confort thermique).

Diagnostic synthétique et prédictif

Constats majeurs

  1. Autonomie électrique “statistique”, mais pas encore structurelle.

    • Le mix électrique 2024 est très largement renouvelable (92,4 %), avec disparition du charbon et du fioul lourd.
    • Toutefois, une part significative de la production repose sur des biocombustibles importés (pellets, biocarburants), tandis que les ENR strictement locales ne représentent qu’un peu plus de 30 % de la production électrique.

    Analyse : l’île a déjà presque “décarboné” son électricité sur le papier, mais n’a pas encore atteint une véritable autonomie énergétique fondée sur ses propres ressources.

  2. Résilience aux aléas climatiques : talon d’Achille de la trajectoire 2030.

    • Le cyclone Garance a provoqué les dommages électriques les plus graves depuis cinquante ans, avec 21 pylônes HT détruits, 80 MW hydroélectriques indisponibles, des délestages et le recours de nouveau au fioul.
    • Le Bilan prévisionnel 2024 confirme que, malgré les conversions à la biomasse, le système doit rester sous vigilance et que des besoins supplémentaires en puissance pilotable et en réserves apparaissent à moyen terme.

    Analyse : sans renforcement massif du réseau (enfouissement, redondances HTB) et déploiement rapide de stockage et services système, la fréquence et l’ampleur d’incidents de type Garance pourraient augmenter avec le climat.

  3. Vulnérabilité sociale élevée, mais politiques ciblées déjà en place.

    • 36 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, et environ un tiers des ménages est en précarité énergétique.
    • Des programmes structurants (SLIME, Kap Écosolidaire, Kap PV, Effi’Kaz) existent déjà, avec prise en charge quasi totale de certains équipements (chauffe-eau solaires) pour les foyers modestes.

    Analyse : la transition énergétique réunionnaise est socialement sensible ; son acceptabilité dépendra fortement de la capacité à maintenir, voire renforcer, ces dispositifs redistributifs.

Analyse prédictive (horizon 2030–2040)

Sous réserve de stabilité des politiques actuelles et des financements, on peut formuler les hypothèses suivantes :

  1. Électricité : vers 95–100 % ENR en régime normal, mais autonomie “réelle” repoussée.

    • La loi LTECV et les textes d’orientation visent toujours une autonomie énergétique des DROM en 2030.
    • Le CESE et d’autres instances estiment déjà que cet objectif sera très difficile à atteindre à l’échéance prévue.
    • L’ADEME a montré qu’il faudrait, par exemple, déployer environ 1 000 MW de photovoltaïque pour rendre crédible une autonomie complète, contre des objectifs bien plus modestes dans la PPE.

    Projection : il est probable qu’en 2030 La Réunion dispose d’un mix électrique quasi intégralement renouvelable en année moyenne, mais avec un socle important de bioénergies importées et de moyens thermiques de secours. Une autonomie fondée majoritairement sur des ressources locales semble plutôt se situer au-delà de 2035–2040, sauf rupture technologique ou révision très ambitieuse de la PPE (analyse).

  2. Réseau & aléas climatiques : risque d’incidents récurrents sans accélération des investissements.

    • EDF anticipe d’importants besoins en puissance pilotable, stockage et réserves primaire/secondaire (jusqu’à 200 MW de réserve secondaire en 2033 dans un scénario), pour compenser la montée des ENR non synchrones.
    • Le programme de reconstruction post-Garance prévoit deux ans de travaux pour relever et enterrer une partie des lignes les plus exposées.

    Projection : si ces investissements sont réalisés au niveau annoncé et complétés par des stockages centralisés et un pilotage fin de la demande, la fréquence des délestages devrait rester maîtrisée. À l’inverse, en cas de sous-investissement, le système risque d’être régulièrement en tension lors des pointes du soir et des épisodes climatiques extrêmes.

  3. Transports & mobilité : potentiel de bascule, mais fortement dépendant du calendrier des projets.

    • La feuille de route des mobilités et le projet Réunion Express constituent une inflexion majeure, avec un investissement estimé à plusieurs milliards d’euros et une mise en service progressive autour de 2035.
    • Le Bilan prévisionnel mise sur un développement rapide du véhicule électrique, à condition d’un pilotage strict de la recharge pour éviter une aggravation de la pointe électrique.

    Projection : si le calendrier ferroviaire est tenu et si le couplage train + véhicules électriques + recharge pilotée est effectif, la consommation de carburants fossiles dans les transports pourrait se stabiliser puis décroître à partir des années 2030. En cas de retard des grands projets ou d’insuffisance des offres alternatives au tout-voiture, le transport restera le principal point noir carbone de la trajectoire réunionnaise.

Manques d’information pour affiner le diagnostic
  1. Bilan climatique complet de la biomasse importée.

    • Les sources consultées décrivent les flux de pellets et de biocarburants, mais ne fournissent pas de bilan carbone “cycle de vie” public, consolidé et récent pour ces filières dans le cas spécifique de La Réunion.

    Limite : difficile, en l’état, de quantifier précisément le gain climatique net de la substitution charbon/fioul → biomasse importée.

  2. Articulation énergie–foncier–autonomie alimentaire.

    • Des travaux de prospective (par ex. sur l’autonomie énergétique et alimentaire de La Réunion) soulignent les conflits d’usage du sol entre ENR, agriculture et urbanisation.

    Limite : il n’existe pas, dans les documents facilement accessibles, de scénario intégré et actualisé croisant énergie, climat, foncier et systèmes alimentaires à horizon 2030–2050. Une telle modélisation serait nécessaire pour un diagnostic stratégique complet.